Mon premier orage en montagne

Photo de couverture

Cliquez ici pour ajouter une photo de couverture, ou déposez la photo dans ce cadre. Si les dimensions sont supérieures à 2000x1045 pixels, la photo sera automatiquement redimensionnée.

L'image d'en tête sera affichée derrière le titre de votre article.
Cliquez ici pour remplacer la photo de couverture (2000x1045 pixels), ou déposez la photo dans le cadre pointillé.

Mon premier orage en montagne

Comment je me suis retrouvée ici ?! En train de gémir sous un bloc rocheux qui me protégeait des grêlons, les bouts des doigts insensibles et l'orage qui claquait dans mes oreilles à quelques centaines de mètres de nous...
Attention spoiler : ça fout les miquettes !
article
TrekiT AEM
Texte :
Cet article est issu du mag communautaire Outzer, dans lequel les membres de notre communauté peuvent partager librement leurs plus belles histoires de montagne. Publiez la votre !

Projet proba AMM : la vallée des merveilles

A l'époque, mais il n'y a pas si longtemps, je préparais ma liste de randonnées pour me présenter à l'examen probatoire du DE Accompagnateur en Moyenne Montagne. 

Je partais, souvent avec mon compagnon qui prépare le même diplôme, en 4L ou en camion à la quête d'une dizaine de randonnées obligatoires proposées par le CNSNMM. Pas de randos, pas de proba ! 

Ma cousine réside dans le Mercantour, la vallée de la Roya pour être précise. Elle m'avait beaucoup parlé de la Vallée des Merveilles... Nous décidons de prendre deux semaines dans la Roya pour faire des randos obligatoires (dix randos à choisir parmi une bonne centaine en France) et des randos libres (exigence de 1000m D+ minimum).

Il se trouve que dans la liste des randos obligatoires, il en existe une intitulée : Tour de la Vallée des Merveilles, elle fait environ 26 kilomètres et +/- 1600 mètres de dénivelé positif et négatif. Trop bien ! Depuis le temps que ma cousine m'en parle, je vais enfin avoir l'occasion de voir cette vallée, et de valider une des randos de ma liste. What else ?

Une prépa météo un peu à la légère...

Bon, je vais vous dire un secret... je suis une grande flippée des orages, mais je me soigne. Quand j'étais enfant et jusqu'à très tard (j'vous dirai pas l'âge, na!) quand l'orage claquait non loin de la maison, j'allais me réfugier dans la chambre de mes parents, quitte à dormir à même le sol pour ne pas les réveiller... mais j'me soigne ! Aujourd'hui j'admire les éclairs depuis la fenêtre de la chambre, bien au chaud dans le lit. 

Mais ce jour-là, je ne m'attendais pas à devoir affronter une de mes grandes peurs : l'orage en montagne.

J'avais lu des trucs sur ce sujet... s'isoler du sol, s'accroupir, pas d'objets métalliques, ne pas se mettre sous un rocher... mais dans la pratique le stress et les imprévus font chavirer tous les plans !

Je check toujours la météo les jours qui précèdent ma sortie, pour comparer l'évolution au jour le jour et pour me faire une estimation que j'espère proche de la réalité. Nous sommes à la mi-juin, la météo est parfois incertaine. Je vois qu'un orage est annoncé pour 18h, puis le lendemain ils l'annoncent pour 15h... 

On se concerte, on doit repartir bientôt et c'est le seul jour où l'on pourra faire cette rando, l'envie est trop forte et en plus on a envie de boucler notre liste pour nous présenter au proba d'automne... 

Je suis du style prudente, j'ai pas envie d'y aller et de prendre des risques, puis on se dit que si on démarre la rando de bonne heure, ça devrait passer

Cette expression : "ça devrait passer" n'est jamais valable en montagne...

L'ascension aux aurores

Il est à peine 7h du matin, la voiture nous attend sagement au lac des Mesches et nous voilà sur le sentier. Il y a beaucoup d'eau dans les rivières à cette saison, on traverse un petit ruisseau, mon pied zippe et se retrouve dans l'eau glacée. Je grommelle un peu, à moitié en rigolant, sans savoir que ce jour-là je finirai ma rando trempée jusqu'aux os !

On remonte le vallon de la Minière jusqu'au refuge des Merveilles, en versant sud, tout est ok !

La rando obligatoire impose cependant un tracé où l'ascension du Mont Bégo, perché à 2872 mètres d'altitude, se fait par le versant nord. On croise un garde du Parc et on lui pose la question. En effet versant sud ça passe crème, mais il reste pas mal de névés en versant nord, il ne nous recommande pas ce chemin... Il ne peut rien nous dire de plus, mis à part que les bâtons sont interdits, mais si notre sécurité l'exige, on pourra s'en servir pour éviter les glissades. 


Point de décision...

Devant le dilemme, on se propose de monter à la Baisse de Valmasque (2552 mètres d'altitude), pour avoir la vue sur l'autre versant et voir comment ça se présente. Une fois là haut, on décidera si on fait l'aller-retour au sommet du Bégo, ou si on descend directement sur le lac du Basto pour continuer la rando.

Arrivés à ce fameux col, ascenseur émotionnel... l'autre versant est évidemment recouvert de neige sur certaines portions, et la montée raidasse vers le Bégo est traversée par un névé.

Mauvaise décision...

Les fameuses phrases ennemies de notre sécurité en montagne : "maaaaais on est montés jusqu'ici on va pas redescendre maintenant ..." ou encore "si on la valide pas pour notre liste proba aujourd'hui on aura plus l'occasion de le faire" et puis... l'attrait irrésistible du sommet.

Je me souviens encore de ma prudence exigeant que nous entamions la descente sur le lac, et de cette envie complètement folle de monter au sommet qui finit par l'emporter. Il n'est que 11h, on devrait avoir le temps, ça devrait passer

Douce folie des sommets

Il est midi tout pile quand nous arrivons au sommet, trop contents ! On admire les vallées et sommets voisins. La couverture nuageuse est basse, je flippe un peu, ça me serre le ventre, mais je suis tellement bien ici, j'en profite pour faire quelques photos... tout en observant le ciel, d'un œil inquiet.

Ajoutez des photos (2020px)

La météo tourne

Les nuages se déplacent vite, un brouillard se rapproche, je veux qu'on entame la descente. On en profite pour glisser sur quelques névés sans risque, on rigole bien, nos genoux sont en forme donc on n'hésite pas à tracer ! Je rigole mais l'angoisse me gagne quand je vois les nuages grignoter les montagnes que nous sommes en train de descendre...

Ajoutez des photos (2020px)

Descente sur le lac !

Yeah ! ça y est ! on a passé la baisse de Valmasque et on descend donc sur le lac du Basto. Je suis en chaussures de trail dans la neige, elles sont gorgées d'eau, mais en mouvement j'ai pas froid aux pieds. 

Presque arrivés au lac, on repère un chamois tranquillement couché dans la neige, ouvrez l'oeil ! Vous allez le voir... (photo de droite). 

A droite de cette même photo, vous pouvez voir un bout de tente beige qui se fond dans le gros bloc rocheux. Je me demande aujourd'hui si cette personne était en affût, en train de mitrailler ce chamois avec son appareil photo, ou s'il/elle piquait un roupillon, dans l'insouciance la plus totale de la tournure météo qui se profilait...

Ajoutez des photos (2020px)

Les p'tits cols, les p'tits cols, toujours les p'tis cols !

On bifurque peu avant le lac du Basto pour prendre le PR, afin de rejoindre le lac vert de Fontanalba, plein Est. On perd un peu les balises qui se cachent sous la neige, c'est l'occasion de bosser notre lecture carte/terrain et d'utiliser la boussole. J'entends que ça tonne, et pas besoin de savoir compter jusqu'à dix pour analyser que l'orage se rapproche. Un p'tit coup de GPS est le bienvenu histoire de se rassurer et d'accélérer un peu, il est bientôt 14h et je réalise que les calculs ils sont pas bons (NDLR : Kévin!). L'orage a dit qu'il viendrait à 15h tapantes, j'espère qu'il aura du retard... on a encore quelques petits cols à passer. 

Ajoutez des photos (2020px)

L'éboulis, l'orage et le bouquetin

Non, ce n'est pas un poème de Jean de la Fontaine, mais bien plutôt le récit du crux de la journée. 

Passé ce col sans nom, nous entamons une descente dans l'herbe, avec la vue sur le chaos de blocs qui nous attend. Il pleut, on commence à courir, l'herbe est mouillée et nous avons conscience du fait que l'orage n'est plus très loin, et ce n'est pas le moment de se tordre une cheville. L'orage nous suit de très près et se rapproche encore, nous apercevons un blockhaus encastré dans la montagne en face, on a besoin de quinze ou vingt minutes pour l'atteindre, à vue de nez, mais ça nous imposera une grimpette !

Tout va si vite, ça tonne fort, on court côte à côte, on coupe les épingles du sentier pour descendre droit dans la pente, on commence à se prendre quelques grêlons... Dans ce moment stressant, mon œil est attiré par une forme sombre sur un rocher qui surplombe l'éboulis à ma gauche.

Un magnifique bouquetin nous regarde, on s'arrête, jusque quelques secondes pour savourer l'instant. J'ai l'impression de percevoir comme un message... le genre humain a beau se croire plus fort que la nature, aujourd'hui c'est la nature qui me court après, je suis sur son territoire, le ventre devoré par le stress, et ce bouquetin se tient là, m'observant avec une sérénité inversement proportionnelle à la mienne. Rien ne semble l'atteindre, même pas notre présence, il est le roi de la situation. 

La course repart de plein fouet, la grêle nous frappe de plus en plus fort, l'orage est là, quasiment sur nous et c'est évident : il va falloir arrêter de courir, et nous n'auront pas le temps d'atteindre le blockhaus. 

Nous sommes là, pris au piège dans le vallon de Fontanalba, encore trop haut en altitude pour être en sécurité.

On ne peut plus revenir en arrière, c'est trop tard, on ne peut plus avancer, car la prochaine étape est un autre col et c'est trop dangereux. 

Nous jetons nos bâtons, éteignons nos téléphones et cherchons un rocher pour nous réfugier. La grêle frappe trop fort et je compte à peine trois secondes entre le flash des éclairs et le son. Il n'y a aucun doute, on est bien dans la mouise !

Nous trouvons refuge sous un gros roc qui nous protège désormais des grêlons gros comme des billes, mais l'eau glacée qui frappe ce même rocher ruisselle et nous dégouline dessus. J'ai froid, terriblement froid, je compte les secondes car c'est l'unique chose qui m'importe à ce moment précis. Mon compagnon me tient les mains, on se rassure comme on peut. Nous réalisons également que le Mont Bégo est un sommet très ferreux, or, le fer attire la foudre. Je suis heureuse de ne pas m'être laissée envahir par ce fait à ce moment-là, ça m'a fait une angoisse en moins.

Je commence à perdre la sensibilité dans mes doigts, je tremble de froid et de peur. L'eau glacée continue de ruisseler sur nos corps, et pourtant nous ne pouvons rien faire de plus... l'attente est la seule option qu'il nous reste. Je me souviens encore des pensées qui ont traversé mon esprit. Le sentiment d'être la personne la plus stupide du monde... et si la foudre vient à frapper ce rocher sous lequel nous sommes réfugiés ? Et si je viens à perdre conscience à cause du froid ? ... ... ... Quelle est la dernière chose que j'ai dite à mes parents ou à ma cousine ? Mon téléphone doit rester éteint, et de toute façon il n'y a pas de réseau, un sentiment de lâcher-prise m'envahit soudainement. J'ai fermé les yeux pour plonger dans un état d'impuissance profond. Plus aucune pensée ne traversait mon esprit désormais, j'étais bercée par ce fait d'être dans l'obscurité. Je ne saurais dire combien de temps je suis restée ainsi, j'avais tout oublié. Je ne me mordait plus les doigts de cette grossière erreur de partir sur cette rando, et de toutes les décisions prises. J'entendais au loin la douce voix de mon compagnon qui murmurait quelques paroles rassurantes.

Le temps passait lentement, et le froid ne m'atteignait plus étrangement. Une chose essentielle me marqua et me fit rouvrir les yeux. Mon oreille entendit la grêle frapper de moins en moins fort, et je me remis à compter. Aucun doute, l'orage s'éloignait ! 

L'on attendit encore quelques minutes pour être sûrs, une excitation nous envahit soudainement... nous étions dans les starting-blocks : prêts à nous échapper !

La grêle avait cessé. Nous avons quitté notre modeste abri pour prendre le chemin en sens inverse pour récupérer nos bâtons, et une course folle s'entama jusqu'au dernier col : la Baisse de Valauretta. Je me rappelle de la force mentale et physique que nous avions à ce moment-là, je n'aimais pas vraiment courir et pourtant je m'improvisais traileuse dans la neige. C'était une sorte de course vers le terme de cette expérience d'orage en montagne. 

Nous descendions en direction des rochers de Valauretta, c'était fou, nous comptions les résineux qui avaient été foudroyés au cours de leur existence. Ces restes de grands brûlés qui se dressaient aux abords du sentier me rappelaient encore que nous n'étions pas en sécurité ici. 


On retrouve le sourire dans la descente !

Je remarque d'ailleurs en écrivant cet article qu'un résineux malchanceux (ayant déjà été frappé par la foudre) s'est incrusté sur la photo :)

Ajoutez des photos (2020px)

Rentrons maintenant...

Je ne me souviens plus exactement à quelle heure nous sommes arrivés à la voiture... je crois qu'il n'était pas loin de 17h. Nous étions trempés jusqu'aux os, mais en sécurité désormais. Nous sommes rentrés prendre une bonne douche chaude, et passés voir ma cousine à La Merenda pour l'informer de notre retour, et la rassurer.

Elle n'avait pas été inquiète outre mesure, en revanche un des clients du salon de thé qui tendait l'oreille nous a adressé, accompagné son accent mélodieux et en rigolant à moitié : 

"avec l'orage de grêle qu'on s'est tapé ici, j'ose pas imaginer ce que vous avez pris là-haut !"

On a bien ri après coup. J'ai beaucoup apprécié l'analyse qui a suivi cette leçon de vie donnée par la Montagne. Elle nous a laissés bien chanceux, et a changé ma vision des montagnes à tout jamais.

Le point marrant de l'histoire c'est qu'on a pris pas mal de risques... tout ça pour valider une rando de la liste ?! Hé bien non ! Car du moment que nous avons mis un pied dans la neige, nous étions hors prérogatives estivales, et donc cette rando ne pouvait plus compter dans la liste pour le proba !

Aujourd'hui je passe mes UF pour devenir titulaire du DE AMM, j'ai les prérogatives pour encadrer des randonnées estivales ; j'attends avec impatience et une pointe d'appréhension le module hivernal pour pouvoir encadrer des sorties en raquettes à neige. Cet été, à aucun moment j'ai été prise dans un orage avec les clients... j'étudiais tous les tracés possibles, les plans B, si la météo annonçait de l'orage, je jouais la carte blanche avec les clients en leur expliquant qu'à tout moment je changerai le tracé pour redescendre en sécurité. Quelques fois je dû effectivement changer le déroulé de la journée et rentrer plus tôt aux voitures pour éviter l'orage, jamais aucun client ne fût déçu, mais plutôt heureux de ce moment déjà passé en montagne. Et si jamais l'incompréhension devait gagner un groupe, j'aurais toujours le récit de cette expérience à partager avec eux. 

La météo de montagne est, et restera toujours la plus grande variable imprévisible à ne jamais négliger.

Bien que je ne serai jamais Alpiniste ou Pyrénéiste, ou l'un(e) de ces grands hommes ou grandes femmes à gravir des sommets encordés, équipés de crampons et piolets, je n'oublierai jamais qu'en montagne on trouvera une multitude de choses... 

Du bien-être au dessus des nuages, des vues à couper le souffle, des moments de stress et d'angoisses, une multitudes de plaisirs visuels, le dépassement de soi, les risques, les aléas et parfois... le repos éternel. 

Et je clôturerai cet article en saluant tous ces Alpinistes, Pyrénéistes, Randonneurs, Marcheurs, Humains, qui firent de la montagne leur demeure éternelle, parfois en ouvrant des sentiers, en montrant le chemin, parfois en visitant un lieu pour la première fois, sans forcément avoir pris des risques inconsidérés, mais simplement parce que la lumière de leur existence devait, ce jour-là, s'éteindre dans les Montagnes. 

TrekiT AEM
Texte TrekiT AEM
Accompagnatrice en moyenne montagne passionnée, secteurs principaux Cévènnes et Pyrénées ;)

Aucun commentaire

Connectez-vous pour laisser un commentaire

.